l'Ecole de Francfort, une aventure philosophique

L'Ecole de Francfort : esquisse d'une définition

historique

les protagonistes

L'Ecole de Francfort naquit avec la fondation de l' "Institute für Sozialforschung", à Francfort-sur-le-Main, en 1923 , par décision du Ministère de l'Education, avec l'appui financier d'un négociant, Félix J.Weil, sous l'impulsion de K. A. Gerlach. C'est à partir d'un colloque consacré au marxisme (la "Première semaine de travail marxiste", tenu en été 1922 à Ilmenau) auquel participèrent Lukacs, Pollock, Korsch, Wittfogel que naquit l'idée d'une institution permanente vouée à l'étude critique des phénomènes sociaux.

Carl Grunberg assuma jusqu'en 1930 la direction de cet institut, situé sur le campus universitaire de Francfort. Par la suite, la direction allait être assumée par celui qui est considéré comme "le fondateur", c'est à dire le garant, par sa personnalité, de l'identité historique et théorique de l'Ecole de Francfort, à savoir Max Horkheimer.

L'institut publiait une revue "Archiv" qui ne fut remplacée par la Zeitschrift qu'en 1932. Dès 1931, s'ouvrit à Genève une annexe qui deviendrait le centre administratif de l'Institut, en exil, lors de la prise de pouvoir par les nazis. Deux autres annexes s'ouvrirent à Paris , où la Zeitschrift für Sozialforschung continua à paraître aux éditions Alcan, et à Londres, sous le patronage de la Sociological Review. Cette expatriation dura jusqu'en 1950. Mais après la guerre, le devenir de "l'Ecole de Francfort" allait cesser d'être étroitement lié à l'institut de Recherche sociale de Francfort pour devenir un courant de pensée, qui certes peut être défini par les liens qui unissent différents chercheurs à l'Institut et entre eux, mais dont l'identité réelle réside dans une attitude philosophique particulière et un certain nombre de choix politiques commun, en dépit des divergences et de la diversité qui pouvait régner au sein de l'école.

Comment dès lors définir ce courant?

On peut affirmer l'existence d'un référent marxien, commun à l'ensemble des protagonistes de l'Ecole de Francfort. Plutôt que d'un marxisme dogmatique, il s'agit là d'une appriopriation "hétérodoxe", c'est à dire hors de toute inféodation partidaire ou étatique , du moment critique de la pensée de Marx.

Comme Assoun et Raulet l'ont montré dans "Marxisme et théorie critique"(Payot),il s'agit aussi d'une intégration de concepts kantiens dans un cadre historique nouveau. La raison devient l'un des référents essentiels de la Théorie Critique, raison qui seule peut armer le sujet historique d'une conscience critique, d'une conscience de soi comme sujet de l'Histoire et conscience du monde comme objet, à la fois obstacle et instrument d'émancipation. Mais si la raison est émancipatrice, elle a fondé aussi l'émergence du capitalisme, à travers une appropriation rationnelle de la nature. Le dévoilement de cette dialectique de la raison, à la fois émancipatrice et instrument de domination, entraine une critique radicale du positivisme.

Au positivisme, l'Ecole de Francfort oppose la "dialectique négative", c'est à dire la prise de conscience du monde comme négation du sujet historique et ce moment critique de l'esprit qui tend, par l'utopie ou par la révolte sociale,à nier cette négation pour dépasser toute aliénation. Il y a là une réappropriation de ce qu'il y a de potentiellement subversif chez Hegel. D'un autre côté, pour certains (Marcuse, Adorno...) une influence husserlienne et, pour Marcuse, l'apport de Heidegger n'est pas négligeable, du moins pour ce qui concerne ses premiers travaux.

Le contact, souvent critique, avec la phénoménologie et la philosophie de l'existence rend compte de la nécessité, pour l'école de Francfort de prendre position non seulement par rapport aux déviations d'une philosophie existentielle détournée aux fins de légitimation de l'Etat autoritaire, mais aussi sur la question fondamentale des rapports de l'être au monde, à travers notemment la critique de l'irrationalisme et le refus de survaloriser la singularité de l'existence individuelle dans une démarche réintroduisant un idéalisme qui perd le contact avec le monde de l'histoire matérielle.

On comprendra l'importance et la particularité de la position philosophique de l'école de Francfort, qui est située historiquement en un lieu stratégique où elle se trouve confrontée à la fois à la dogmatisation et à l'affadissement du marxisme, à un positivisme logique considéré comme un instrument de la rationalité bourgeoise propre au capitalisme industriel ,à un existentialisme dévié (la Lebensphilosophie) qui rend le sujet historique vulnérable aux tentations du national-socialisme (le "cas" Heidegger est ici éclairant, et éclairé par la théorie critique) et à l'héritage kantien qui ne fut pas sans influence chez certains penseurs marxistes (Max Adler par ex.).

Il n'est pas opportun ici d'expliciter la diversité des trajectoires suivies par les protagonistes de l'école de Francfort, il convient plutôt de préciser qui "en était" et "en est" actuellement. Si l'Ecole de Francfort est connue pour son approche philosophique originale, il ne faut pas oublier qu'elle est le lieu d'une recherche pluridisciplinaire qui touchait des philosophes, certes, comme H. Marcuse, T. W. - Adorno et Max Horkheimer, des économistes comme F. Pollock et H. Grossmann, un psychanalyste comme E. Fromm, des littéraires tels W. Benjamin et L. Löwenthal, des historiens comme F. Neumann ou des sociologues comme J. Habermas...

Dans la revue ESPRIT (qui anima un groupe de travail consacré à l'Ecole de Francfort) de mai 1978, Höhn et Raulet ont remarquablement rendu compte des aléas de la réception de l'école de Francfort en France. Réception tardive et étroitement liée aux événements de mai 1968 (Marcuse ne fut par exemple que réellement connu en France qu'après 1969). Il n'empêche qu'actuellement la représentation des auteurs de l'Ecole de Francfort dans l'édition française est significative de l'intérêt du public cultivé pour des travaux d'accès parfois difficile et qui ne suivent pas nécessairement les vents dominants de la pensée politique.

Les traductions des oeuvres de Horkheimer, de F. Neumann (Behemoth, la structure et la pratique du national-socialisme), d'Adorno, les études récentes publiées sur W. Benjamin et surtout l'édition des travaux récents de J. Habermas (la théorie de l'agir communicationnel), et les répercussions qu'ils suscitent, montrent que la théorie critique, que l'on crût pouvoir dire agonisante à la mort d'Adorno, est loin d'être moribonde.

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